Élections 2016 – où en est-on?

Le 29 octobre dernier, étaient organisées des élections anticipées, suite à la pression populaire et le scandale des « Panama Papers » impliquant notamment le Premier Ministre d’alors, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, du Parti du Progrès (Framsóknarflokkurinn, centre-droit agrarien). Cinq semaines après les élections, l’ancien gouvernement continue d’assurer l’intérim, aucune coalition majoritaire n’étant sortie des négociations.

En Islande aussi, des sondages éloignés du résultat final.

Résultats des élections législatives du 29 octobre 2016 au niveau national.
Résultats des élections législatives du 29 octobre 2016 au niveau national. La majorité sortante n’est plus assurée, essentiellement à cause de la dégringolade du Parti du Progrès.

Confirmant la tendance mondiale selon laquelle les sondages ne reflètent pas le verdict des urnes (Brexit, Trump, Fillon, Renzi…), le Parti de l’Indépendance (PI – Sjálfstæðisflokkurinn, droite libérale conservatrice) sort grand vainqueur du scrutin, avec 29% des voix. Le Parti Pirate (Píratar, démocratie directe populiste), que les sondeurs voyait au coude-à-coude avec le PI, finit troisième avec 14,5%, derrière les 15,9% des Verts de Gauche (Vinstrihreyfingin – grænt framboð, Sociaux-démocrates écologistes). Le grand perdant du scrutin est sans surprise le Parti du Progrès, qui atteint péniblement 11%.

 

Une fois ces résultats appliqués au Parlement, la majorité sortante PI/PP obtient 29 sièges, insuffisant pour former une nouvelle majorité (celle-ci étant à 32 sièges sur les 63 députés qui composent l’Alþingi).

Un premier mandat sans surprise

Le Président Guðni Th. Jóhannesson (g.) reçoit Bjarni Benedíktsson dans la résidence présidentielle. Bjarni obtient le mandat de former un Gouvernement.
(c) Photo : Morgunblaðið ]
Conformément aux dispositions constitutionnelles, le Président Guðni Th. Jóhansson convoque chaque chef de parti ayant obtenu des sièges, afin de les entendre sur leur projet, et décider à qui donner le pouvoir de fonder un gouvernement. Sans surprise, le mandat est donné à Bjarni Benediktsson, chef du Parti de l’Indépendance, fort de ses 29% obtenus aux élections.

 

Les négociations commencent donc entre tous les partis sous la direction de Bjarni. Le but est de créer une coalition entre plusieurs partis afin d’obtenir une majorité au Parlement. Ces négociations aboutissent sur des pourparlers plus conséquents avec Avenir Radieux (Björt Framtið, Centre-droit europhile) et Réforme (Viðreisn, Droite europhile, dissidente du PI eurosceptique). La coalition qui pourrait en résultat n’obtiendrait néanmoins qu’un siège d’avance, à 32 sièges tout pile. Ce qui, dans un Parlement où les votes hors partis sont communs, est une avance quasi inexistante.

Le 15 novembre, les négociations n’atteindront jamais le statut de pourparlers officiels : les trois partis annoncent la fin des négociations à l’initiative des deux partis centristes, qui ne voyaient pas d’un très bon oeil l’intention de se rapprocher du Parti du Progrès que Bjarni essayait d’imposer. Bien évidemment, la friction principale porte sur la tenue d’un référendum sur l’adhésion à l’Union Européenne, dont le Parti de l’Indépendance ne veut dogmatiquement pas entendre parler. Le dernier aspect posant problème concerne les quotas de pêche, les centristes étant favorables à une réforme de ceux-ci, quand le PI entend poursuivre tel quel. Le mandat est rendu officiellement au Président le 16 novembre, qui convoque Katrín Jacobsdóttir, cheffe des Verts de Gauche, et lui transmet sans surprise.

Un deuxième mandat donné aux Verts…

Katrín Jakobsdóttir obtient le second mandat de former un Gouvernement. Son ambition est de rassembler les 5 partis du centre et de la gauche afin d’obtenir une majorité parlementaire.
(c) Photo : Morgunblaðið ]
Après avoir rencontré tous les responsables de parti, Katrín invite à la table des négociations quatre autres partis : les Pirates, l’Alliance Socialiste, et les deux partis centristes Avenir Radieux et Réforme, désormais indissociables. Les négociations commencent donc à huis clos, entre ces 5 partis hétéroclites rassemblant des populistes, des libéraux europhiles, des socialistes eurosceptiques, sous la direction d’écologistes. Ils ont néanmoins tous quelque chose en commun : aucun d’entre eux ne fait partie du gouvernement sortant.

Durant les négociations, la RUV, service de télévision national, publie les résultats d’un sondage indiquant que 60% de la population soutient l’idée d’une coalition dirigée par les Verts.

Katrín, interrogée par la Presse sur certaines mesures qu’elle compte mettre en place, déclare qu’elle a l’intention de « Taxer les plus haut revenus pour financer les hôpitaux publics ». Une déclaration qui lui mettra les centristes à dos, et plus particulièrement les libéraux de Réforme, dans les pourparlers de coalition. Le mercredi 23 novembre, les négociations prennent fin avec le départ des centristes; en cause, encore une fois, les quotas de pêche mais aussi les propos de Katrín sur la taxation des hauts revenus, que les centristes n’ont pas digérés. Le Président demande néanmoins à Katrín, qui a toujours le mandat, de bien réfléchir avant d’abandonner. Le mandat sera néanmoins rendu le lundi 28 novembre.

Pourparlers partout, coalitions nulle part

Le gouvernement formé en 2013 (et remanié en 2015, ici, en photo) s’occupe de l’intérim en attendant qu’un nouveau Gouvernement soit formé.
(c) Photo : Morgunblaðið ]
Suite à l’échec des Verts de former une coalition, le Président demande à l’ensemble des partis de se mettre d’accord. Il ne donnera pas de mandat à un parti ne proposant pas déjà de bases de négociations solides pour arriver à une coalition rapidement. Il faut dire que le temps presse: on est fin novembre, et le budget 2017 n’est toujours pas voté. Le Parlement nouvellement élu ne s’est toujours pas réuni, depuis les élections un mois auparavant. Le pays n’est cependant pas sans Gouvernement, puisque l’Exécutif précédent (PI + PP) s’assure de l’intérim, jusqu’à un maximum de dix semaines suivant les élections parlementaires, d’après la Constitution. Si aucun nouveau Gouvernement n’est formé à l’issue de cette période, de nouvelles élections doivent avoir lieu.

Durant la semaine du 28 novembre au 1er décembre, l’ensemble des responsables de partis se rencontrent les uns, les autres. Seule constante néanmoins, les deux partis centristes se rendent à tous les rendez-vous main dans la main, sans officialiser leur fusion. La presse nationale s’enflamme lorsque Bjarni, chef du Parti de l’Indépendance, reçoit Katrín des Verts de Gauche. Certains s’attendent à voir ces deux partis, arrivés premier et second, s’entendre pour demander un mandat au Président. C’est sans surprise que cette réunion n’aboutira sur rien, tant les deux partis s’opposent sur à peu près tout : Europe, fiscalité, pêche, mais aussi environnement, et même diplomatie.

Autre chose se détache de ces rendez-vous : le Parti du Progrès semble bel et bien laissé de côté par tout le monde.

Le vendredi 2 décembre, le Président Guðni reconvoque les responsables de partis pour voir où en sont leurs négociations, et à 16h, Birgitta Jónsdóttir, cheffe des Pirates, obtient à son tour le mandat de former un gouvernement.

Un troisième mandat sous les couleurs des Pirates

GàD : Logi Einarsson (Alliance Socialiste), Benedíkt Jóhannesson (Réforme), Birgitta Jónsdóttir (Pirates), Óttarr Proppé (Avenir Radieux), Katrín Jakóbsdóttir (Verts de Gauche).
[ (c) Photo : visir.is ]
Le weekend qui suit cette annonce, les Pirates, parti à structure très horizontale, se rassemblent afin de discuter des partis à inviter à la table des négociations. Après avoir entendu tous les chefs de parti (encore), la pourparlers reprennent entre les « Cinq Partis » comme les nomme la Presse : l’Alliance Socialiste (3 sièges), Avenir Radieux (4 sièges), Réforme (7 sièges), Verts de Gauche (10 sièges), sous la direction des Pirates (10 sièges).

Lundi 5 décembre, Birgitta annonce qu’aucun résultat n’est à espérer avant la fin de la semaine, car le Parlement est convoqué dès le lendemain « en l’état », c’est-à-dire avec un Gouvernement en intérim, mais le Parlement nouvellement élu. Le but est de malgré tout faire voter le budget 2017 et d’éviter par là-même une crise gouvernementale.

Pendant ce temps, le duo centriste s’entretien avec le Parti de l’Indépendance afin de négocier une éventuelle nouvelle coalition si le mandat Pirate échoue, tout en restant à la table des négociations avec ces derniers. Le but pour le PI est ici de s’assurer de pouvoir faire voter ses dernières lois dans un Parlement qui ne lui est désormais plus autant acquis qu’avant. Passent au Parlement des lois budgétaires plutôt a l’opposé de celles votées jusqu’alors : augmentation du budget des hôpitaux, augmentation du budget de la commission délivrant les droits d’asile… Ces votes successifs pousseront Bjarni à déclarer que si de nouvelles élections avaient lieu, dues à l’impossibilité de former un Gouvernement, « Ce ne serait pas une catastrophe et nous les remporterions ». Comme si la grogne anti-libérale des islandais allait disparaître sous quelques millions alloués au système de santé…

Au moment de la rédaction de cet article, le 8 décembre, les Pirates n’ont toujours pas formé de Gouvernement. Birgitta et les responsables des partis impliqués dans les négociations, que la Presse surnomme les « Flokkarnir Fimm » (Cinq Partis), se contentant d’exprimer en conférence de presse que les discussions progressent, avec notamment un accord informel sur les quotas de pêche et l’agriculture, soit un pas plus loin que tous les autres mandats. La rumeur enfle cependant que certains partis pourraient ne pas faire partie du Gouvernement final, mais se contenterait d’appuyer le Gouvernement au parlement. Un Gouvernement minoritaire, mais avec d’autres partis en soutien, ne serait pas une première en Islande…

 

Author: Sylvain