Dans les plus grands poncifs de l’Islande que nombre de médias aiment à souligner, c’est son écologie et son respect de l’environnement. Ils sont nombreux, les articles, qui traitent de l’incroyable propreté de l’énergie. On lira ici ou ailleurs que 100% de l’électricité est produite de façon propre, par la géothermie ou l’hydroélectrique. C’est vrai, ici on ne trouve pas de centrale nucléaire ou de centrale à charbon. Ce ne serait de toute façon pas nécessaire pour une population de 335 000 habitants. Et qu’est-ce que c’est, qu’une électricité propre ? Est-ce qu’on ne compte que le bilan carbone ? Est-ce que l’impact sur les paysages et la nature n’ont pas d’importance ?
L’Islande pays le plus consommateur d’électricité au monde (par habitant)
L’Islande, en 2013, a consommé 19000 GW d’électricité certes « renouvelable » (encore qu’il faut compter sur une géothermie infinie, ce qui n’est pas prouvé). Sur ces 19000 GW, seulement 1900 ont été utilisé par les ménages ou par les services publics. Moins de 10%. Qui consomme ? L’industrie de l’aluminium. Presque 70 %. Pourquoi ? Pour qui ?


L’Islande, toujours prompte à chercher de nouvelles sources d’emploi et de revenus, a trouvé que l’aluminium était un revenu carrément efficace (et pas uniquement temporaire). Alors, c’est vrai, la première usine ne date pas d’hier. Celle d’Hafnafjörður a été ouverte en 1969, mais sa capacité a sextuplé depuis. C’est au début des années 2000 qu’il faut remonter pour comprendre le phénomène de l’aluminium. À l’époque, le tourisme ne constitue pas encore un revenu très important et l’Islande ne doit son succès qu’à la pêche, et une bonne partie de la croissance du pays est à imputer à la présence militaire américaine, en voie d’extinction depuis la fin de la guerre froide. L’Islande doit se mondialiser et est un peu en retard.
De l’emploi, mais de la pollution
On promet de l’emploi, du succès, une présence dans le monde. Les Islandais aiment ça. Ils veulent se moderniser, surtout dans les campagnes isolées, dans les fjords désertés. C’est le cas de Reyðarfjörður, dans l’Est. Cette petite cité a vu dans l’aluminium une force d’emploi prenant le relai de la pêche. Au début des années 2000, on parle de la venue d’une grande firme d’aluminium et c’est finalement le nom d’Alcoa qui est cité. Alcoa, c’est l’entreprise américaine qui a été première du classement des entreprises les plus polluantes. Un beau titre, déjà. Mais passons sur le choix de l’entreprise par le gouvernement islandais, il est peu probable que les entreprises d’aluminium soient généralement vertes.
Ce qui nous intéresse ici, c’est l’électricité nécessaire à l’ouverture de cette usine, à Reyðarfjörður. Dans la région, pas d’énergie géothermique suffisante pour produire l’électricité, les fjords de l’Est étant trop éloignés des failles et autres sites volcaniques. Alors il reste l’hydroélectricité. C’est alors que le gouvernement a choisi de construire le Kárahjúkar, grand barrage dans une gorge magnifique (amenée à disparaître), certes totalement méconnue de la population islandaise car inaccessible. Ce point est important, parce qu’il semble que la méconnaissance de la région a aidé au soutien d’une majorité d’Islandais. N’y étant jamais allés, ils ne verraient pas la différence avant et après le barrage, et ça se tient. Pourtant, la plupart des études d’impact environnemental se sont prononcé en défaveur de la mise en eau de tout cet espace, pour la flore et pour la faune.


Mais on promettait de l’emploi. Dans une région peu attractive, isolée et petit à petit désertée, le mot emploi est un rêve, qui avait l’occasion de devenir réalité. Et c’est vrai, on ne peut pas dire que ça n’est pas devenu réalité. On estime que l’usine d’aluminium a créé au moins 200 emplois directs. On promettait aussi de l’emploi pour la construction du barrage en lui-même. Autour de 10000 personnes y ont en effet travaillé pendant le pic. Mais dans quelles conditions ? Difficile de trouver des articles objectifs sur ce qu’il s’y est vraiment passé. On n’a que quelques images, quelques écrits, mais tellement peu. Pourtant, nombreux ont été les accidents, quelques morts et quelques dizaines de blessés. La sécurité sur les chantiers n’a pas été respectée, les normes islandaises ont été peu d’actualité. Puis, le droit des travailleurs, souvent cité en exemple pourtant ici, a laissé à désirer. Quelques « frondeurs » évoquent la possibilité d’avoir des toilettes, des vestiaires ou une salle de pause – quelle outrecuidance ! Et il faut voir cette interview par la RÚV d’un chef de chantier, qui explique en toute simplicité que les meneurs seront renvoyés chez eux (entendre, dans leur pays), dès le soir même. Un problème ? Débarrassé.
Tourisme, hydroélectricité et protection de l’environnement : trio impossible
Le but ici n’est pas non plus de ne souligner que les points négatifs de ce projet. Il a amené de l’emploi. Mais il a aussi amené de la pollution : décès d’animaux dans les alentours, comme autour d’autre usines d’aluminium ; pas assez pour que le gouvernement ne s’inquiète.
Le but n’est pas non plus de critiquer pour critiquer la politique islandaise. Mais plutôt, de s’interroger sur l’utilité de ce type de projet. On parle depuis quelques années aussi de relier l’Islande au Royaume-Uni, ou plutôt le Royaume-Uni à l’Islande. Les Britanniques, réduisant leur part de nucléaire, vont avoir besoin d’électricité. Propre, si possible. L’idée d’un câble entre les deux pays fait son chemin, mais cela impliquerait plusieurs barrages aussi gigantesques sur le territoires islandais. Quand il n’y aura plus de rivière, de cascade de disponible, que fera-t-on ? On imagine mal le gouvernement islandais faire disparaître Gullfoss de la carte, la cascade la plus touristique du pays. Mais bon, ils ont déjà réussi à faire disparaître la rivière Þjórsá toute entière, et ses chutes avec.
Une certaine concurrence s’installe entre tourisme et énergie. Les deux ne pourront pas augmenter parallèlement indéfiniment. Lequel gagnera ? On ne sait pas. Le seul vainqueur en tout cas sera l’argent, et non l’environnement.
Pour approfondir, je vous conseille le film « Dreamland » (en anglais) sur tout cela. C’est passionnant. (À voir en intégralité ici.)
Photo de couverture, une chute d’eau disparue sous le barrage : crédits Saving Iceland.