En 2008, plongée dans une crise financière l’ayant conduite en faillite, l’Islande, petit pays isolé alors inconnu de la plupart des gens, se lance dans la rédaction d’une nouvelle Constitution. Une Constitution écrite par le peuple, pour tourner le dos à l’austérité et la corruption, pour repartir sur de meilleures bases.
Enfin, presque. La vérité diffère de ce que les médias sociaux ont pu relayer.
Une crise historique après deux décennies de stabilité politique
Mai 2007.
L’Islande vote pour ses élections législatives. L’enjeu est important, puisque la composition du Parlement (Alþingi) détermine le Gouvernement pour les 4 années à venir. Le scrutin débouche sur une victoire du Parti de l’Indépendance (Sjálfstæðisflokkurinn, conservateur/libéral, dirigé par Geir Haarde), et de l’Alliance Social-Démocrate (Samfylkingin, centre-gauche, dirigé par Ingibjörg Sólrún Gísladóttir ). L’autre grand parti du pays, le Parti du Progrès (Framsóknarflokkurinn, centre-droit, agrarien/libertarien), enregistre son plus bas score historique.
Conformément à la Constitution, le Président demande aux responsables des partis représentés au Parlement de former un gouvernement, qui doit représenter plus de 50% des voix. Après moultes tractations, une coalition Indépendance/Alliance est formée. Cette coalition, qui peut paraître étonnante vu les différences idéologiques des deux partis, met fin à une longue suite de Gouvernements menés mains dans la main par les Partis du Progrès et de l’Indépendance (voir tableau ci-dessus).
Geir Haarde devient Premier Ministre, Ingibjörg devient Ministre des Affaires Étrangères.
Octobre 2008.
L’Islande sombre dans une crise qui la met au bord du gouffre. La “Kreppa” comme l’appellent les Islandais, met les Islandais devant la réalité de l’inconscience financière et politique de ses gouvernants, et les pousse dans la rue.
La “Révolution des casseroles”, qui tient son nom des instruments de cuisine que les manifestants ont utilisé pour faire du bruit dans les cortèges, va rassembler des dizaines de milliers de personnes. Un événement qui va faire des remous dans la presse internationale, et qui fait suite à la faillite des trois principales banques du pays ayant été privatisées quelques années auparavant. La plupart des épargnants islandais ont ainsi vu leurs emprunts exploser (la faute à des crédits immobiliers toxiques mais très attractifs qui reposaient sur la volatilité de la Couronne).
Pendant ce temps, le Gouvernement, dont le Premier Ministre Geir Haarde dira en direct devant des médias internationaux que « Seul Dieu peut sauver l’Islande », prépare en hâte une série de mesures économiques drastiques, dont le blocage des contrôles de la monnaie, empêchant ainsi l’hémorragie de capitaux vers l’étranger. Pour l’anecdote, le Royaume-Uni de Gordon Brown fera inscrire l’Islande sur sa liste noire de pays terroristes afin de débloquer des fonds spéciaux permettant de rembourser les épargnants britanniques ayant succombé aux miracles des produits Icesave vendus alors par les banques islandaises.
Les grandes manifestations de 2008 poussent le Gouvernement de Geir Haarde vers la sortie, appelant de nouvelles élections législatives anticipées en avril 2009.
2009-2013 : Nouveau Gouvernement, fantasme constitutionnel, et retour au point de départ
Avril 2009.
Les élections législatives anticipées renversent la coalition alors au pouvoir. Pour la première fois depuis 1944 et l’indépendance du pays, aucun des deux partis de droite historique (Indépendance, Progrès) n’entrera au Gouvernement. Les votants les ont tenus responsables de la situation catastrophique dans laquelle le pays se trouve alors, leur faisant payer des années de libéralisme incontrôlé, allant de la privatisation de toutes les banques, à une dérégulation financière à outrance ayant certes fait de l’Islande un paradis des taux d’intérêt pour les devises étrangères, mais rendant l’économie dépendante de ces autres monnaies. Poussés par leur mandat, la coalition nouvellement élue Alliance Socialiste / Verts de Gauche se lance dans plusieurs réformes.
Automne 2009.
Une des premières mesures du nouveau Gouvernement est la mise en place d’une solution pour rembourser les quelques 10 milliards d’euros (dont 7 milliards de produits Icesave) dus aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, ayant étés perdus par les épargnants de ces pays lors de l’effondrement des banques. Une première loi, dite loi Icesave 1 est votée à la fin de l’automne, fixant un remboursement progressif de 2017 à 2024, grâce à des financements du Fonds Monétaire International (FMI) et à l’aide du fonds de garantie bancaire islandais. Cette solution est néanmoins refusée par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.
En décembre de la même année, le Gouvernement se plie aux demandes de ses pays créditeurs et dépose au Parlement une loi Icesave 2, créant une dette de 100 euros par mois et par islandais, de 2017 à 2024. Malgré un vote de justesse favorable de l’Alþingi, le Président fait valoir son droit de véto sur la loi, soumettant ainsi la loi à un référendum. En mars 2010, la victoire sans appel du Non à ce référendum (93% contre, 2% pour, et 5% de blancs ; participation 66%), amène le Gouvernement à travailler sur une loi Icesave 3.
Automne 2010.
Mais une réforme porte la législature 2009-2013 sur les devants de la scène internationale : la mise en place d’une assemblée constitutionnelle élue par le peuple, qui serait en charge de rédiger une nouvelle Constitution. Cette assemblée de 25 membres, élue parmi plus de 500 candidats, comporte pèle-mêle un fermier, un entrepreneur du jeu vidéo, un pasteur, un artiste, des universitaires, des journalistes…, et est chargée de transcrire en Constitution le cahier des charges déposé par quelques 1000 membres de l’Assemblée Constituante ayant étés tirés au sort parmi les inscrits sur les listes électorales.
Malheureusement, après une plainte pour irrégularités (déposée par trois membres du Parti de l’Indépendance depuis toujours opposé à la réforme), la Cour Suprême prononce l’annulation du scrutin, et les membres de l’Assemblée posent leur démission un mois plus tard.
Dans le même temps, la loi Icesave 3 est votée par le Parlement ; elle contient de meilleures conditions pour l’Islande, notamment un meilleur taux d’intérêts et un remboursement sur trente ans au lieu de huit sur la loi précédente. Mais le Président refuse une fois de plus de signer la loi et un référendum doit se tenir en mars 2011.
Printemps 2011.
Toujours attaché au projet constitutionnel, le Gouvernement fait appointe les membres originellement élus en Octobre 2010 au sein d’un Conseil Constitutionnel, ayant exactement les mêmes prérogatives que l’assemblée n’ayant jamais vu le jour. Dans les sondages, les citoyens soutiennent majoritairement la réforme et le Conseil Constitutionnel présente son brouillon de Constitution à l’Alþingi en juillet 2011, avant la pause estivale des sessions parlementaires.
Sur le front Icesave, la société gérant les avoirs de la défunte Landsbanki annonce en grandes pompes qu’elle sera en mesure de rembourser sur les trois prochaines années (2011-2013) l’intégralité de la dette Icesave dont elle est à l’origine. La loi Icesave 3 passe au Parlement, amputée -ironiquement- du remboursement de Icesave ; un nouveau référendum est organisé dont le « non » sort une nouvelle fois vainqueur. Mais les intérêts de la dette Icesave 2009-2013 envers les banques étrangères seront tout de même payés par les contribuables islandais.
Printemps 2012.
La première version de la nouvelle Constitution est envoyée pour avis à la Commission de Venise, organisme européen composé d’experts constitutionnels, qui proposera quelques ajustements sur lesquels vont travailler le Conseil islandais. Les principaux points de la proposition constitutionnelle incluent :
- Une séparation de l’Église et de l’État soumise à référendum
- Une réforme électorale pour améliorer la représentativité à l’Alþingi des citoyens vivant dans les zones les plus peuplées
- Des limitations sur la durée des mandats présidentiels (3 mandats) et de Premier Ministre (10 ans)
- Une loi sur le cumul des mandats et fonctions (un ministre ne pourrait plus être parlementaire durant l’exercice de sa fonction de ministre)
- La nationalisation des ressources naturelles qui ne sont pas déjà privées.
Le projet provoque de fortes critiques de certains partis, notamment le Partis du Progrès et le Parti de l’Indépendance. Ces deux partis se sentent plutôt visés par les propositions, qui pourraient affaiblir leur influence : en l’état, le découpage des circonscriptions électorales et l’attribution des sièges de députés leur est très favorable. En effet, ces deux partis conservateurs sont plutôt très populaires parmi les agriculteurs, les pêcheurs, et les habitants des zones rurales. Et le découpage actuel fait que les circonscriptions où se concentrent cet électorat sont sur-représentées au Parlement : 3,8 députés pour 10.000 inscrits dans la circonscription du Nord-Ouest contre presque la moitié (2,0) dans la circonscription plus urbaine du Sud-ouest (Hafnarfjörður-Reykjanes).

Automne 2012.
À six mois des prochaines élections législatives, le Gouvernement dépose un référendum consultatif sur les principales propositions de la réforme. Toutes sont approuvées par les électeurs. Le référendum est tenu le 20 octobre 2012, et pose les questions suivantes :

Hiver 2012/2013.
Les élections approchant, la coalition au pouvoir ne tient plus qu’à un fil ; le Gouvernement, particulièrement la Premier Ministre Socialiste, tente de faire voter la réforme à l’Alþingi. Malheureusement l’opposition -et leur partenaire de coalition- font blocus et le vote du projet de loi constitutionnel ne sera pas débattu avant les élections de 2013.
C’est un camouflet pour le projet : pour être appliqué, celui-ci doit en effet être voté par deux législatures successives, et les deux partis en tête des sondages sont ouvertement opposés à la réforme ! Le Parti de l’Indépendance est au plus haut, suivi du Parti du Progrès qui refait une percée après une pause dans l’opposition.
2013-2016 : Un projet abandonné ?
Avril 2013.
Les sondages se confirment : le Parti de l’Indépendance sort vainqueur des élections législatives, juste devant le Parti du Progrès. Comme plusieurs fois par le passé, les deux partis entrent en coalition et forment un nouveau Gouvernement conservateur/centre-droit.
Durant la législature, le projet sera mentionné plusieurs fois au Parlement, mais ne sera pas débattu, rejeté d’office par la majorité qui ne veut pas en entendre parler. Pendant ce temps, dans le pays, la Société pour la Constitution Islandaise, groupe de pression fondé en 2010 dans le but de promouvoir la réforme, continue de faire parler de lui pour éviter que le projet ne sombre aux oubliettes.
Entre 2013 et 2016, plusieurs sondages réalisés par les chaînes de télévision ou les journaux montrent que les islandais continuent de soutenir l’idée d’une nouvelle Constitution.
Avril 2016.
L’affaire des « Panama Papers » éclate, et implique en Islande trois personnes au Gouvernement : Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, Premier Ministre et président du Parti du Progrès ; Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances et président du Parti de l’Indépendance ; Ólöf Nördal, Ministre de l’Intérieur et vice-présidente du Parti de l’Indépendance. Le Premier Ministre est démissionné, et de nouvelles élections sont programmées pour le 29 octobre.
Et maintenant : Tout dépend des élections
28 octobre 2016.
À la veille -littéralement- des élections législatives, le sujet de la nouvelle Constitution est bien ancré dans les programmes électoraux.
Alors que la majorité (70%) des islandais approuvent une réforme constitutionnelle sous quelque forme que ce soit, tous les partis ne partagent pas le même avis.
- Le Parti de l’Indépendance, leader dans les sondages pré-électoraux, est opposé comme il l’a toujours été au projet de réforme, le jugeant inutile et inapproprié aux réalités de l’islande.
- Le Parti Pirate, au coude-à-coude avec le Parti de l’Indépendance dans les sondages, promeut une réforme dans la continuité du projet de 2010. Le parti considère la Constitution actuelle comme un « mauvais cadeau » du Danemark, étant donné qu’elle est une transcription peu modifiée de celle du Danemark dont l’islande était une colonie jusqu’en 1944.
- Les Verts de Gauche sont de l’avis des Pirates et espèrent pouvoir faire voter la réforme.
- Le Parti du Progrès suit sa ligne originale et est toujours opposé au projet.
- Renouveau, le nouveau venu de la scène politique islandaise, créé par des dissidents du Parti de l’Indépendance, y est plutôt enclin mais propose de soumettre la question d’une nouvelle Constitution à débat.
- Avenir Radieux poursuit le combat qu’il a toujours mené en faveur de la réforme.
- L’Alliance Socialiste, qui avait initialement porté le projet lorsqu’elle était au Gouvernement de 2010 à 2014, est sans surprise soutien du projet.
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La projection des sondages (marge d’erreur dans « Incertains ») sur l’Alþingi, comparé à la répartition actuelle. En couleur, les partis ayant formé une coalition (gouvernement actuel) ou une promesse de coalition (projection).
Les observateurs et les sondages semblent indiquer que les élections vont déboucher sur une coalition gouvernementale Pirates/Verts de Gauche/Avenir Radieux/Socialiste. Les quatre partis, qui ont d’ores et déjà mentionné leur intention de s’unir, auraient une majorité confortable à l’Alþingi, et pourraient être en mesure de pousser la réforme, d’autant plus que les petits nouveaux de Renouveau ont déjà exclu toute forme d’accord avec les deux partis actuellement au pouvoir.
Rappelons-le, la réforme constitutionnelle doit être votée par deux législatures successives pour être appliquée.
Alors, rendez-vous en 2021 ?
S – .